Quand on revient de la plage et que j’étends les serviettes de toilette sur un fil, c’est fou, d’étendre des serviettes de toilette sur un fil. C’est rien et c’est tout.
Toiles
La couleur contient à l’intérieur d’elle-même sa propre perte, quelque soit son
effacement,
sa
densité ou sa violence, ou à cause d’eux, toujours de nature à ce point égaux à sa
tonalité
que
celle-ci se couche derrière le non sens qui l’a émise, et dont par tous les pores elle
devient,
atone, la prisonnière. La couleur porterait-elle en elle-même son ombre ?
LES TROUS DANS LA TETE
Je connaissais les couleurs, je ne les voyais plus; C’est une histoire qui arrive sans
qu’on
s’en rende compte, juste parce qu’une robe, un pont, un ciel, viennent éclater sous
votre
nez, neufs, jamais vus, comme ces babils amoureux à l’intérieur desquels on voudrait
rester;
Je
m’apercevais alors que c’était passé, qu’une quinzaine de pas me séparait de
l’éblouissement
de cette couleur, que cette quinzaine Le pas n’avaient plus vu, absorbée par les mots
qui
s’enroulaient autour de cette surprise, la constataient, l’avaient fuir, et le point
terriblement blanc de la douleur apparaissait, puis l’armada des formes, l’illusion du
savoir ou de la connaissance précédant comme une impression photographique enregistrée
depuis des
lustres, toute nouveauté; Longtemps, j’ai essayé d’éduquer mes yeux à attraper
l’épaisseur
de l’air,
sa densité, sa matière, les halots de couleur et de lumière, en plein jour, sous la
pluie,
non
par amour du paysage, ni par intérêt, uniquement par nécessité; Jamais je n’ai aussi
bien
saisi
la hantise égyptienne.
Métamorphoses
Aucune des deux métamorphoses n’était prévisible lorsqu’enfant pour rejoindre mon amie Hélène
qui habitait rue des Ecouffes, je descendais à Pont Marie, longeais la cité des Arts, tournais
dans la rue Geoffroy Lasnier, et oh merveille! regardais éblouie les mots magiques s’étalant sur
la petite plaque bleue:
«rue du Grenier sur l’eau».
Je frissonnais, j’étais chez moi, dans
l’univers flottant des rêves, j’entrais dans les contes et le minuscule appartement de la mère
d’Hélène avec ses tentures et son haché roulé aux œufs durs et cornichons sonnait la preuve de
l’autre monde.
Le temps passa, Hélène partit juste après m’avoir embrassée là où j’emménageais dans un lieu à
l’abandon depuis des lustres, non pas depuis des lustres, depuis la guerre.
Il a suffit de pousser une toute petite porte battante au dernier étage. Et je déposai ma vie
rue du Grenier sur l’eau.
Le matin, les enfants qui vont au collège s’appellent et rient, mais l’immeuble qui jouxte le
Mémorial est vide de familles désormais, et la nuit résonne les souvenirs.
On renomma la rue «Allée des Justes».
L’immeuble vide devint la figure non plus de mes rêves, mais bien celle de la peur, puis celle
d’une multitude de visages, puis celle de l’histoire, puis je m’endormis dans elle, dans la
multitude des Greniers sur l’eau.
Dans les maisons, puisque les tableaux sont désormais faits pour aller sur les murs des maisons,
je trouve que les petites toiles ont une façon de s’installer bien plus jouissive, plus
précieuse aussi, ce qui leur permet de ne pas perdre ce quelque chose de la peinture (l’aura ?),
que les grandes dans leur façon si souvent « m'as-tu vue » d’être accrochées perdent aussitôt.
J’imagine les enfants, dans cette posture asociale, grimper sur des tabourets, allant déchiffrer
cette petite toile, trop haute pour eux, et toute la distance d’espace et de temps requis pour
se retrouver là, un matin de préférence, juchés sur l’échelle adéquate pour découvrir.
Faire une grande toile ressemble à ce cursus enfantin de l’espace et du temps, du recul, de
l’application, de la perte de sens, bien fou de tendre et faire une grande toile, sortie de
schéma. Comme les petites, la faire d’un seul coup, si ce n’est que la lenteur du faire, la
concentration obligatoire, vont de beaucoup devancer la projection, que la fatigue va s’en
mêler, tout va s’emmêler, le plaisir, la projection d’une image, la bassine de tempéra, la
couleur, la finesse des traits, le pourquoi du comment, le « j’en ai raz le bol » le nombre de
taches, de pas voulus, de « oh merde » jusqu’à s’enfuir en courant.
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